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Justice climatique : un défi mondial aux visages multiples

  • aixglobaljustice
  • 17 juin
  • 10 min de lecture

Le changement climatique est un phénomène global, mais ses impacts sont inégalement répartis à travers le monde. Certains pays, en raison de leur situation géographique, de leur dépendance aux ressources naturelles ou de leurs capacités économiques limitées, sont particulièrement vulnérables. Pourtant, ils sont souvent les moins responsables des émissions historiques de gaz à effet deserre. Dès lors, la question de la justice climatique se pose avec acuité : comment assurer une transition écologique juste, qui prenne en compte à la fois les impératifs environnementaux et les inégalités économiques et sociales ?

 

Des crises environnementales spécifiques, mais interconnectées :

 

Les effets du changement climatique se manifestent différemment selon les régions.

 

En Afrique subsaharienne, la désertification progresse rapidement sous l’effet de la hausse des températures et de la surexploitation des terres [1]. Le Sénégal, fortement dépendant de l’agriculture, voit la productivité de son sol diminuer, mettant en péril la sécurité alimentaire et poussant de nombreuses personnes à l’exode rural [2]. En République Démocratique du Congo (RDC), ce sont les forêts tropicales qui sont menacées par l’exploitation illégale du bois et l’expansion agricole, mettant en péril un desplus grands réservoirs de biodiversité au monde [3].

 

En Amérique latine, le Guatemala fait face à une déforestation massive, notamment due à l’expansion de l’élevage et des cultures destinées à l’exportation, comme l’huile de palme. La disparition des forêts accentue les risques d’érosion, fragilise les communautés rurales et exacerbe les inégalités économiques. Au Salvador, le pays fait également face à de nombreux défis tels que les sécheresses et les inondations, qui affectent la sécurité alimentaire et la gestion des ressources en eau [4].


En Amérique du Nord, le Canada se réchauffe deux fois plus vite que l’ensemble du monde, et les records de pics de chaleur enregistrés chaque année, accompagnés d’incendies dévastateurs, en sont un témoignage criant [5].

 

En Europe, le Royaume-Uni est confronté à un déclin alarmant de sa biodiversité. Selon le State of Nature Report 2023, l’abondance des espèces a chuté de 19 % depuis 1970, notamment en raison de l’agriculture intensive et de l’urbanisation. En mer, la surpêche et la hausse des températures océaniques mettent en péril les écosystèmes marins. Près de la moitié de la biodiversité britannique a déjà disparu, faisant du pays l’un des plus appauvris en termes de nature au monde [6].

Aux Pays-Bas, la montée du niveau de la mer et les risques d’inondations constituent des menaces majeures. Pour y faire face, le pays a adopté une approche proactive en matière de législation environnementale. La Omgevingswet, entrée en vigueur en janvier 2024, vise à harmoniser la gestion des ressources naturelles et l’aménagement du territoire. Par ailleurs, la Klimaatwet impose des réductions strictes des émissions de gaz à effet de serre, affirmant l’engagement du pays contre le changement climatique.


Les initiatives pour une transition durable :

 

Face à ces menaces, de nombreux pays mettent en place des solutions adaptées à leur contexte.

 

En Afrique, le projet de la Grande Muraille Verte tente de freiner la désertification en reboisant des millions d’hectares à travers le Sahel. Bien que son avancement soit encore limité, il offre un espoir pour restaurer les sols et soutenir les communautés rurales [7]. En RDC, des initiatives de surveillance des forêts et des projets de reforestation visent à lutter contre l’exploitation illégale et à préserver la biodiversité [8].


Au Guatemala, certaines communautés locales ont obtenu des concessions forestières qui leur permettent de gérer durablement leurs terres. Ce modèle a prouvé son efficacité en réduisant la déforestation tout en créant des opportunités économiques pour les habitants [9]. Au Salvador la participation des communautés locales dans les processus décisionnels est forte, surtout concernant les projets affectant l'environnement et portés par une forte pression immobilière et industrielle [10]. Sollicitée par des organisations écologistes et des citoyens, la Cour suprême salvadorienne a accordé une protection judiciaire à certaines réserves comme El Espino ou encore Los Cóbanos [11].

 

En 2023, l’amendement de la loi canadienne sur la protection de l’environnement a imposé une nouvelle obligation au gouvernement fédéral de respecter les principes de justice environnementale, d'équité intergénérationnelle et de non-régression, en plus d’instaurer la reconnaissance au droit à un environnement sain [12].

 

Le Royaume-Uni, de son côté, a mis en place des politiques ambitieuses pour réduire son empreinte environnementale. La Climate Change Act engage le pays à atteindre la neutralité carbone d’ici 2050, notamment grâce à un fort développement des énergies renouvelables. Les Environmental Land Management Schemes (ELMS) encouragent les agriculteurs à adopter des pratiques plus durables, et la Environment Act 2021 fixe des objectifs contraignants pour améliorer la qualité de l’air, de l’eau et restaurer la biodiversité. Cependant, ces efforts sont encore jugés insuffisants face à l’ampleur des défis [13].

 

Les Pays-Bas, de leur côté, illustrent la manière dont le droit peut être utilisé pour accélérer l’action climatique. Les affaires Urgenda et Milieu defensie ont obligé l’État et certaines entreprises à prendre des mesures immédiates pour réduire les émissions de gaz à effet de serre, servant d’exemple pour d’autres juridictions à travers le monde. Ces décisions montrent que la justice climatique ne se limite pas aux initiatives gouvernementales, mais peut également être portée par des actions citoyennes et judiciaires [14].

 

Un défi global nécessitant une coopération renforcée :

 

Si ces initiatives locales montrent que des solutions existent, elles restent limitées sans un engagement international fort. L’un des principaux obstacles est le financement de la transition écologique, particulièrement pour les pays en développement qui manquent de ressources pour mettre en place des politiques durables [15].

 

Par ailleurs, la question de la compatibilité entre croissance économique et protection de l’environnement demeure centrale. En RDC et au Guatemala, l’exploitation des ressources naturelles est une source essentielle de revenus, mais elle se fait souvent au détriment de l’écosystème et des populations locales [16]. Au Salvador, la question de l’équilibre entre durabilité et développement économique se pose et les intérêts économiques, souvent liés à des projets de développement, continuent de représenter unepression significative sur les ressources naturelles [17]. Même dans des pays où l’économie est plus stable comme le Royaume-Uni, la transition vers une économie bas-carbone soulève des tensions, en raison des enjeux liés à l’emploi et à la sécurité énergétique [18]. Au Canada, les industries extractives, du gaz au pétrole, continuent impunément les déboisements et les pollutions qui affectent directement la santé et les modes de vie des Premières Nations [19].

 

Pour garantir une véritable justice climatique, plusieurs actions sont essentielles. Comme renforcer la coopération internationale, avec des financements adaptés aux besoins des pays les plus vulnérables, assurer une transition juste, où les bénéfices des politiques écologiques profitent équitablement à toutes les populations ou encore aligner développement économique et protection de l’environnement, en repensant les modèles de production et de consommation.

 

Une justice climatique à construire ensemble :

 

L’urgence climatique impose une transformation en profondeur de nos sociétés. Si certains pays ont pris des mesures importantes, il reste encore beaucoup à faire pour assurer une transition équitable et efficace.

 

Les initiatives locales et nationales montrent qu’une autre voie est possible, mais elles nécessitent un engagement mondial plus fort. La justice climatique ne doit pas être un luxe réservé aux nations industrialisées, mais une priorité partagée, où chaque pays, indépendamment de son niveau de développement, trouve sa place dans un avenir plus durable et équitable.

 

 

Par Melissa Schuver, Laura Fanahafa, Elisa Pegon , Nils Nathan, Melissa Crispel.

 

Melissane Blottiere et Emie Ferreira




[1] The Conversation, En Afrique subsaharienne, l’immense défi de la désertification, septembre 2017 [consulté le 4 juin 2025], disponible à l’adresse suivante : En Afrique subsaharienne, l’immense défi de la désertification : « Monique Barbut, la Secrétaire exécutive de la Convention des Nations unies sur la lutte contre la désertification, rappelait à ce propos que près de 12 millions d’hectares de terres arablesdisparaissent chaque année dans le monde en raison de la désertification et de la sécheresse, alors qu’on aurait pu y cultiver 20 millions detonnes de céréales !»

 

[2] FAO, Lutte contre la désertification : activités en Afrique – Sénégal, décembre 2024 [consulté le 05 juin 2025], disponible à l’adresse suivante :https://www.fao.org/in-action/action-against-desertification/pays/action-against-desertificationactivitiesafrica/senega l/fr/.

 

[3] Congo.shafaqna.com, La République Démocratique du Congo a perdu 590.000 ha de forêts primaires en 2024, 3 mai 2025 [consulté le 5 juin 2025], disponible à l’adresse suivante : http://congo.shafaqna.com/FR/AL/478908.

 

[4] FAO and the Green Climate Fund (GCF), Trees, roofs and tools boost climate resilience for water and food security, 16 octobre 2023 [consulté le 06 juin 2025] :


[5] Gouvernement du Canada, Le climat du Canada se réchauffe deux fois plus rapidement que la moyenne mondiale, 2019, [consulté le 06 juin 2025], disponible à l’adresse suivante :


[6] State of Nature, State of Nature Report 2023, septembre 2023 [consulté le 7 juin 2025], disponible à l’adresse suivante :


[7] Vert, La Grande muraille verte, une vraie solution contre la désertification au Sahel ?, décembre 2024 [consulté le 04 juin 2025], disponible à l’adresse suivante : La Grande muraille verte, une vraie solution contre la désertification au Sahel ?

 

[8] CAFI, Nouveaux projets approuvés pour atteindre les objectifs de la 2nde Lettre d'intention entre la RDC et CAFI [consulté          le         04         juin       2025],                      disponible           à             l’adresse      suivante            : https://www.cafi.org/fr/pays-partenaires/democratic-republic-congo : « Grâce à ce nouveau partenariat pluriannuel, la RDC vise d'abord à plafonner sa perte de couverture forestière à sa moyenne sur 2014-2018 et à s'assurer que la déforestation continue de diminuer par la suite. Il intègre par ailleurs des objectifs de restauration du couvertforestier très ambitieux afin d’en compenser les pertes résiduelles, en lien avec le Défi de Bonn ».


[9] CIRAD, Au Guatemala, l’exploitation qui conserve la forêt, octobre 2024 [consulté le 04 juin 2025], disponible à l’adresse suivante : Au Guatemala, l’exploitation qui conserve la forêt | Cirad.

 

[10] CCFD-Terre Solidaire, Des communautés se mobilisent face à des projets industriels peu soucieux de l’environnement, publié le 01/12/2009, mis à jour le 08/12/2021 [consulté le 06 juin 2025]:

 

[11] Arrêt Récifs de Los Cóbanos Amp. 63-2007, 9 décembre 2009, [consulté le 06 juin 2025] : https://www.csj.gob.sv/arrecifes-los-cobanos-amp-163-2007/ ; Arrêt zone de réserve forestière “El Espino” Inc. 5-93, 2 juillet 1998, [consulté le 06 juin 2025] : https://www.csj.gob.sv/zona-de-reserva-forestal-el-espino-inc-5-93/.

 

[12] Gouvernement du Canada, Projet de loi S-5, Loi sur le renforcement de la protection de l’environnement pour un Canada en santé - Résumé des modifications [consulté le 04 juin 2025], disponible à l’adresse suivante : Projet de loi S-5, Loi sur le renforcement de la protection de l’environnement pour un Canada en santé - Résumé des modifications : « En plus de la reconnaissance en préambule du droit à unenvironnement sain comme le prévoit la LCPE, l’article 2 de la loi (sur l’application administrative) exige que le gouvernement protège ce droitet respecte les principes connexes, tels que la justice environnementale, la non-régression et l’équité intergénérationnelle [article 2(1), article 3(2)] ».

 

[13] Citepa, Le Royaume-Uni se fixe de nouveaux objectifs climat : -78% d’émissions entre 1990 et 2035, mai 2021

[consulté le 04 juin 2025], disponible à l’adresse suivante : Le Royaume-Uni se fixe de nouveaux objectifs climat :-78% d’émissions entre 1990 et 2035 - Citepa/.


[14] Notre Affaire à Tous, Urgenda, 20 décembre 2019, Cour Suprême des Pays-Bas, avril 2020 [consulté le 04 juin 2025], disponible à l’adressesuivante : Urgenda, 20 décembre 2019, Cour Suprême des Pays-Bas ; Voy. aussi : Notre Affaire à Tous, Tribunal de La Hague, Milieudefensie et al. v. Royal Dutch Shell, 26 mai 2021, C/09/571932 / HA ZA 19-379, avril 2022 [consulté le 04 juin 2025], disponible à l’adresse suivante : Tribunal de La Hague, Milieudefensie et al. v. Royal Dutch Shell, 26 mai 2021.

 

[15] Revue Banque, Financer la transition écologique dans les pays en développement : le rôle prometteur de la finance mixte, mai 2025[consulté le 04 juin 2025], disponible à l’adresse suivante : Financer la transition écologique dans les pays en développement : le rôle prometteur de la finance mixte : « On estime qu’il faudrait mobiliser chaque année plus de 7 000 milliards de dollars supplémentaires pour financer la transition écologique et entre 500 et 800 milliards supplémentaires pour enrayer l’effondrement de la biodiversité. En outre, une part infime de la finance environnementale déployée aujourd’hui atteint les régions qui en ont le plus besoin ».

 

[16] Observatoire des multinationales, Perenco en RDC : quand le pétrole rend les pauvres encore plus pauvres, Olivier Petitjean, janvier 2014 [consulté le 04 juin 2025], disponible à l’adresse suivante : Perenco en RDC : quand le pétrole rend les pauvres encore plus pauvres -Observatoire des multinationales : « Le rapport Pétrole à Muanda : la justice au rabais montre comment les populations locales souffrent del’exploitation du pétrole sans en recevoir les bénéfices allégués. D’un côté, les activités de Perenco entraînent pollutions, dégradations environnementales et bouleversements sociaux qui affectent les droits fondamentaux de ces populations ; de l’autre, la « manne » supposée dupétrole ne contribue en rien à sortir les habitants de Muanda de la pauvreté. La malnutrition et l’absence d’infrastructures et des services les plus basiques (eau, électricité, déchets) y demeurent la règle. Le taux de chômage officiel y est de 95% ».

 

[17] Centre tricontinental, L’interdiction de l’exploitation minière métallique au Salvador : une première mondiale, mai 2017 [consulté le 04 juin 2025], disponible à l’adresse suivante : L’interdiction de l’exploitation minière métallique au Salvador : une première (...) - Centre tricontinental: « La conscience écologique au Salvador est à la hauteur de la dégradation environnementale. Selon un rapport du Bureau du procurateur pour la défense des droits humains (PDDH), alors que le pays souffre déjà d’un stress hydrique – 600.000 familles en milieu rural n’ont pas accès à l’eau potable – et qu’au moins 89% des cours d’eau sont polluées, dans 80 ans, la disponibilité d’eau per capita se réduira de 83%, rendant le pays invivable. En cause, la déforestation – la couverture forestière est seulement de 13% –, l’urbanisation, le modèleéconomique lié à la passivité de l’État qui a permis cette dégradation de l’environnement ; la plus grave dans la région après Haïti, selon l’ONU ».


[18] Crédit Agricole, ROYAUME-UNI – Transition verte, mars 2024 [consulté le 04 juin 2025], disponible à l’adresse suivante : ROYAUME-UNI – Transition verte Point d’étape à mi-parcours.

 

[19] Radio France, Extractivisme : les faux-semblants d'une superpuissance, avril 2025 [consulté le 04 juin 2025], disponible à l’adresse suivante : Extractivisme : les faux-semblants d'une superpuissance : épisode 3/4 du podcast Canada : un modèle en question | France Culture.

 
 
 

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